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On a déjà dit beaucoup de choses sur Spotlight, aussi bien au sujet de ses rares défauts, que concernant ses principales qualités. Mais le film de Tom McCarthy peut avant tout être perçu comme un superbe plaidoyer pour une discipline qui tend à disparaître, celle du journalisme d’investigation. Situant son action au début des années 2000, le film fait état d’un monde où le Web n’avait pas encore la main-mise sur les titres d’information ; soit une époque bénie où les journalistes avaient encore le temps et les moyens de creuser leurs sujets, d’autant plus au sein de cellules d’investigation comme celle du Boston Globe, baptisée Spotlight et qui est au cœur du cinquième film de Tom McCarthy.

Mettre en lumière des sujets oubliés ou « trappés » à l’époque par la rédaction du quotidien constitue le cœur du travail des cellules d’investigation, et on ressent, dès le début du film, les inquiétudes des journalistes de Spotlight, qui voient débarquer un nouveau rédacteur en chef missionné par le New York Times — qui vient tout juste de racheter le Boston Globe — pour remettre de l’ordre dans la rédaction. Quiconque a déjà vécu un rachat de ce type peut s’identifier à ces moments de transition durant lesquels on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé et quelles modifications organisationnelles vont venir ajouter encore plus de pression à des équipes déjà surchargées.

Une réorganisation difficilement crédible aujourd’hui

L’autre crainte peut également venir de l’actionnariat du média en lui-même. L’exemple le plus récent en France est le témoignage de Baptiste Rivoire, délégué syndical au sein de la rédaction de Canal+. Il expliquait ainsi sur le plateau d’Arrêt sur images que sept des onze sujet qu’il avait proposés à la direction avaient été retoqués depuis que Vincent Bolloré en était le propriétaire. On pourrait également citer le groupe La Dépêche, détenu par Jean-Michel Baylet, nommé récemment ministre de l’Aménagement du Territoire ou le Figaro qui appartient depuis 2004 au sénateur et patron d’industrie Serge Dassault.

Pourtant ce rachat n’engendrera ici aucune réorganisation, ce qui constitue peut-être l’aspect le moins crédible du film : difficile de croire qu’aujourd’hui un nouveau rédacteur en chef peut mettre autant l’accent sur l’investigation, sans prioriser les contenus promettant un meilleur rendement économique à court terme. C’est néanmoins ce qui se produit ici, ce dernier poussant même ses équipes à enquêter sur cette série de viols — qui constitue alors la partie immergée de l’iceberg — commis par des prêtres de la ville. Ce sujet, l’équipe de Spotlight ne le lâchera pas pendant plusieurs mois, et se rendra compte au fur et à mesure de l’ampleur du désastre, ainsi que de l’implication au sein des plus hautes sphères de l’Église ; d’abord localement, puis de manière mondiale par la suite.

Lucidité et anti-sensationnalisme

Ce qui frappe, c’est la lucidité avec laquelle l’équipe affronte ces découvertes. Bien que parfois humainement secouée par les méfaits des prêtres, elle se garde bien de tout dévoiler au fil de ses avancées. Il serait ainsi facile, dans un rythme exigé désormais par celui du Web, de les publier au coup par coup, tel un un parfait moyen de feuilletonner un sujet et, ainsi de le diluer, lui faire perde toute son importance. Mais la rédaction en chef sait temporiser les ardeurs des journalistes pour ne pas griller toutes leurs cartouches sans avoir de répercussion sur le système organisé par l’Église. Car comme le répète le rédacteur en chef fraichement débarqué, c’est le système qui est visé, pas les personnes qui la composent. C’est seulement en prouvant chaque viol et en montrant à chaque fois comment il a été couvert qu’ils pourront mettre hors d’état de nuire la diabolique machine mise en place.

Tels des enquêteurs de police — mais sans leurs moyens judiciaires — les membres de Spotlight découvre les informations grâce à leur culot et leur sens du système D : rencontrer des témoins ou utiliser les opportunités juridiques pour accéder à des pièces classées jusque là inaccessibles. On réalise alors la portée de l’influence de l’Église sur cette ville et toutes les couches de ses institutions. Sur ce point, et en seulement deux heures, Spotlight n’a rien à envier aux séries The Wire et Treme de David Simon sur Baltimore et la Nouvelle-Orléans : il propose non seulement une photographie lucide de la vie politique d’une ville américaine tenue par des ficelles où chacun a intérêt de défendre l’Église, mais aussi une illustration du pouvoir et des responsabilités que peut avoir la presse sur cet environnement.