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Sur la route de l’ammour 2 est moins la suite de Sur la route de l’ammour que de de Ne pleurez pas mademoiselle, l’album de Hyacinthe & L.O.A.S qui avait mis un joli coup au rap français il y a deux ans en proposant enfin un point de rencontre entre l’écriture de Fuzati, l’approche electro de TTC et les punchlines frontales de Booba et Kaaris. Ici L.O.A.S est en featuring sur trois titres et une chanson comme « Janis et Rihanna » semble être la suite directe de « Strip Club ». Krampf s’occupe toujours de la majorité des productions et de la cohérence de l’ensemble, permettant ainsi à Robotnik (déjà particulièrement présent sur Ne pleurez pas mademoiselle), DJ Pie ou encore Nino Ice de s’intégrer parfaitement.

Lors des premières sorties du collectif DFHDGB, les productions de Krampf constituaient la principale raison de s’intéresser à Hyacinthe et L.O.A.S. À la fois directes et surprenantes, tout en affirmant la culture hip hop de leur auteur, elles conféraient aux chansons des deux MC une aura et une personnalité inattendue. Ici, Krampf creuse encore son sujet : plus pop et plus urbaines, les instrus proposent simultanément de magnifiques nappes de claviers et des beats suaves qui savent prendre leur temps. Peut-être moins rentre-dedans qu’à l’époque de « Pain au Chocolat & Pussy », elles proposent des ambiances propices à la tristesse rageuse qui s’accordent parfaitement au travail de  Hyacinthe, sans que l’on sache si elles répondent à celui-ci ou si elles lui donnent sa coloration.

Une musique profonde dont les hésitations sont souvent troublantes

Mais la vraie surprise de ce  Sur la route de l’ammour 2  : Mémoire de mes putains tristes, c’est qu’aussi qualitatives que soient les prods de Krampf et se ses collègues, elles ne représentent plus l’intérêt premier. Effectivement l’insolence, l’aspect provoco-dépressif et les bons mots qui caractérisaient le personnage de Hyacinthe se sont radicalisés pour proposer une musique profonde dont les hésitations sont souvent troublantes et où l’on croise des personnages abîmés par la vie, qui n’ont pas confiance en eux, qui n’arrêtent pas de tomber, mais qui se relèvent chaque fois avec la conviction qu’ils vont régner sur le monde. Chez Hyacinthe, on sent toujours cette fracture, cette indolence qui est sans cesse masquée par l’envie de détruire les règles, de pisser sur la morale et de traîner dans des clubs interlopes. Mais la vraie force de Hyacinthe réside maintenant dans sa capacité à incarner un rappeur à double facette sans jamais faire dans l’illusion ou la manipulation. D’un côté il y a un gamin désabusé issu d’une génération perdue, qui tue l’ennui dans le sexe et l’alcool, qui ne se fait pas de films et qui sait qu’il meurt à la fin, un gamin qui s’inscrit complètement dans la culture rap, qui comprend le game et le bling-bling, qui vomit sa bile et se demande si ces putes l’aiment. De l’autre, il y a un post-adolescent touchant, capable de matérialiser l’absurdité de la vie en une phrase lâchée nonchalamment, un type qui ne sait pas trop d’où il vient, mais qui sait qu’il ne va nulle part. Sans aucune conceptualisation préalable, presque par hasard,  Sur la route de l’ammour 2  : Mémoire de mes putains tristes devient alors un album particulièrement moderne où Hyacinthe joue à fond la carte du rap game tout en exposant que celui-ci n’est qu’un palliatif au vide de sa vie, soit ce que pensent beaucoup des grands rappeurs américains actuels sans jamais oser l’avouer frontalement. Son « Désolé mon amour, c’est pas toi que je trompe, c’est l’ennui » a tout de la profession de foi.

Au fond, Hyacinthe ne parle que de l’amour et de la mort, les deux seuls sujets qui comptent au monde. Pas étonnant que l’on retrouve deux « m » à Sur la route de l’ammour. Le spectre de sa propre mortalité plane sur tout le disque. Quand il rappe : « meilleur rappeur de ma génération, de celle d’après aussi », on retrouve bien cette idée d’un présent qu’il faut défoncer tout en portant le poids de savoir qu’on ne sera plus là après. Et comme ce poids est trop lourd à porter, Hyacinthe semble prôner un spleen hédoniste où rien n’a de sens, où « tout dépend », où on ne peut que toiser la mort en attendant qu’elle nous fauche et qu’un miracle nous ressuscite.

Là où un Fuzati intellectualise ses textes pour décrire la tragédie contemporaine, en faisant preuve d’un recul qui le place en observateur du monde, Hyacinthe fait preuve d’une sincérité très premier degré (ce qui n’empêche pas la référence au « Baise les gens » du Klub des Loosers » dans « Le Milliard et une vie »). Le cynisme qui habite le rap indé disparaît au profit de textes émouvants parce que la tristesse et la haine n’y sont pas instrumentalisées. On peut alors voir ce disque comme une version réaliste et dénuée d’humour du concept de bâtard sensible de TTC. Un disque qui aurait presque pu s’appeler Bâtard triste. On l’avait un peu vu venir, mais Sur la route de l’ammour 2  : Mémoire de mes putains tristes est vraiment l’un des disques de rap français les plus excitants de cette année.