Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

La fiche Wikipédia de Jean-Bernard Pouy le décrit comme auteur à succès, ce qui ne manquera pas de le faire bondir, ne serait-ce que pour la forme. Mais une chose est sûre : Pouy écrit beaucoup. Des romans à foison dont une douzaine – celui-ci compris – dans la seule Série noire chez Gallimard, au moins autant de recueils de nouvelles, des essais, de la poésie, du théâtre, de la BD et, pour ceux qui s’en souviennent, La Petite écuyère a cafté, premier titre de la légendaire collection « Le Poulpe » aux éditions Baleine, qui en aura publié près de 300 en vingt ans, sans déroger à la règle quasi-mystique du titre-jeu de mots (parmi lesquels les mémorables Nazis dans le métro et J’irai faire Kafka sur vos tombes), et qui aura vu son héros, Gabriel Lecouvreur, porté à l’écran par Guillaume Nicloux sous les traits de Jean-Paul Darroussin, dans un scénario co-écrit par… Pouy Jean-Bernard.

Ici il choisit de tremper sa plume dans les marécages menacés que défendent les zadistes. Et le moins qu’on puisse dire est que les batraciens fournissent une encre, certes acerbe, mais de qualité. Le thème de la Zone à défendre a été traité avec talent au cinéma l’an dernier par le duo Blanche Gardin-Éric Judor dans Problemos, où était exploitée toute l’ambivalence des points de rencontre entre mondes qui s’opposent, comme une actualisation de la Guerre froide. Il ne s’agit pas seulement d’« hier contre aujourd’hui » ni d’« être contre avoir », l’affaire est plus complexe, mais enfin des antagonismes s’expriment à plein, et cette expression est un pur matériau artistique.

Les batraciens fournissent une encre, certes acerbe, mais de qualité

Quand Ma ZAD débute, le narrateur Camille Destroit, est encore à cheval entre deux mondes : celui du salariat – il bosse dans un hypermarché – et celui de la lutte – il donne des coups de mains aux zadistes du coin, près de Dunkerque. Mais déjà les mondes se mélangent, car il dirige le rayon produit frais d’une enseigne bio, elle-même détenue par un consortium industriel promoteur du projet immobilier qui menace la ZAD en question. Sur ce tableau en spirale s’ajoute un drame familial dans lequel Camille jette tout son vague à l’âme. Il perd bientôt, outre son boulot, son couple, une partie de ses biens, l’usage d’une oreille et les illusions qui lui restaient, lui le quadragénaire naïf aux airs de gros dur.

Car s’il cite Borges et Buzzati, il passe plus de temps à tempêter contre presque tout, de Truffaut à Einstein en passant par Le Parrain, le véganisme et la valise à roulettes. Pourtant cela ne l’empêche pas d’engager un chaste jeu du chat et de la souris avec l’épiphanie que représente à ses yeux Claire Mernotte, une radicalisée de l’intérieur, deux fois plus jeune que lui et qu’il défendra contre la terre entière, à commencer par lui-même et ses propres démons. Une valse des faux-semblants face à laquelle la galaxie anti-capitaliste, du Black Bloc aux No Border en passant par toutes les nuances alternatives, fait figure en termes de difficulté à un basique puzzle huit pièces.

Avec son style enlevé qui cultive une sorte de flegme crépusculaire, pour le pire (« des lieux de transit qui sont tellement loin de l’intestinal » pour parler des aéroports) ou le meilleur, enfin déjà le mieux (« On ne joue pas Hamlet sans casser des œufs »), Pouy semble multiplier les œillades à San-Antonio dans la torsion de la langue façon espéranto de comptoir (akchonne, par exemple, répondant au fameux standinge). Mais s’il ne va plus loin que l’hommage à la faconde de Frédéric Dard, sa façon d’incorporer la théâtralisation propre aux ZAD dans un polar aux accents populaires est une œuvre au moins aussi salutaire que celle incarnant les aventures du poto de Bérurier.