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Star Wars épisode IX, l’ascension de Skywalker : le temps des fouilleurs d’épaves

Sortie le 18 décembre 2019. Durée : 2h22.

Par Erwan Desbois, le 30-12-2019
Cinéma et Séries

[Attention ce texte contient des spoilers sur le film, ainsi que sur la série Watchmen de Damon Lindelof]

L’épisode 9 de Star Wars était une entreprise très mal embarquée, face au cumul de multiples éléments contraires. L’épisode 7 (Le Réveil de la Force) avait posé des bases fragiles, que l’épisode 8 (Les derniers Jedi) s’était résolu à saper sans proposer d’autres fondations. Ajoutez à cela l’humour noir du destin, avec le décès de Carrie Fisher, alors même que Leia Organa devait être au centre de l’épisode 9, ainsi que l’avaient été Han Solo dans le 7 et Luke Skywalker dans le 8 (L’Ascension de Skywalker se sort tant bien que mal de ce cul-de-sac, mais le résultat reste boiteux) ; et le fait que la saga n’est désormais plus entre les mains d’un auteur sûr de son fait, capable de mener ses idées à bon port contre vents et marées (ce qu’était George Lucas pour les deux autres trilogies, surtout la prélogie, dont les deux premiers volets ont été aussi éreintés en leur temps que les épisodes 7 et 8), mais aux mains de Disney, studio mastodonte régi par la realpolitik des études de segments de marché et de damage control. Le personnage de Rose, introduit dans l’épisode 8, est la victime la plus terrible de cette politique, puisqu’elle se voit triplement trahie par le scénario : rejetée sans raison dans les marges de l’aventure, et remplacée tout aussi arbitrairement par deux nouveaux (Jannah, et un personnage dont le nom n’est carrément jamais énoncé à l’écran, joué par Dominic Monaghan) dans des fonctions narratives qu’elle aurait tout à fait pu accomplir1.

Titre alternatif n°1 : Star Wars épisode IX, le film qui n’avait pas le temps

J.J. Abrams, qui avait réalisé l’épisode 7 et a été rappelé en catastrophe pour reprendre les commandes de L’Ascension de Skywalker, laissées vacantes en cours de pré-production par Colin Trevorrow, a choisi ce qui était possiblement la seule voie ne menant pas dans le mur : foutu pour foutu, autant foncer le plus vite possible tête baissée deux heures durant sans se soucier de la logique ou de la structure. Le texte défilant introductif annonce d’entrée la couleur, en s’ouvrant sur le retour de nulle part de nul autre que l’empereur Palpatine. Les deux premières scènes, avant que le récit proprement dit démarre, confirment le fil directeur du film. S’il reprend la trame et le final du Retour du Jedi, c’est de La revanche des Sith qu’il se rapproche le plus, dans sa démesure opératique (mise en exergue dès la première séquence, de confrontation entre Kylo Ren et Palpatine) et l’accélération démente et permanente de son rythme – la deuxième séquence montre le Faucon Millénium faire des « ricochets hyperspatiaux » qui le font sauter de planète en planète, sans que l’on s’attarde plus de quelques secondes sur ces environnements inédits.

S’en suit une course effrénée après une ribambelle de McGuffins, qui renoue avec une des réussites de l’épisode 7 : les passages où l’aventure se vivait en équipe, ici au complet des protagonistes principaux dont l’alchimie est un bonheur. Ça file à toute allure, ça n’a pas grand sens, ça donne le vertige, c’est trépidant, ça en met plein la vue ; c’est du grand spectacle comme sur les grands huit, qui évoquerait presque plus les Indiana Jones du père spirituel d’Abrams, Steven Spielberg, que les Star Wars. La connexion avec Indiana Jones vaut aussi pour leurs personnages centraux. Indy est un archéologue, Rey redevient ici fondamentalement la fouilleuse d’épaves, la scavenger – elle est nommée ainsi à de nombreuses reprises au fil du film – que l’on rencontrait initialement dans l’épisode 7, explorant un destroyer impérial, possédant un casque abandonné de pilote de X-Wing. L’Ascension de Skywalker reprend et conclut joliment cet arc narratif (on visite cette fois l’Étoile Noire, on récupère un casque de X-Wing opérationnel) tout en le raccordant à un thème plus général, qui rassemble les visions de J.J. Abrams et Rian Johnson, de même que leurs alter ego Rey et Kylo Ren unissent leurs forces dans cet épisode final.

Titre alternatif n°2 : Star Wars épisode IX, no one ever really dies

« Laisse mourir le passé », faisait dire Johnson à Ren dans l’épisode 8, et c’est bien ce qu’Abrams met en pratique ici, au moyen d’un ultime passage dans les décombres, une dernière visite des lieux et figures mythiques après l’effondrement. Tous les héros de la trilogie précédente sont des fantômes (Han et Luke en tant que personnages, Leia via son interprète) ; l’empereur Palpatine que l’on retrouve est une épave ; l’Étoile noire est en ruines, et les vaisseau spatiaux récupérés en cours de route ne valent guère mieux ; le temple Sith sera réduit en cendres. Rey, la fouilleuse d’épaves, est bien évidemment plus qualifiée que quiconque pour mener ce dernier tour de piste, et enterrer la trilogie – à la manière d’Indy, elle pourrait presque lancer que « sa place est dans un musée ». Astucieusement (pour éviter d’être trop morbide ?), L’Ascension de Skywalker joue néanmoins tout du long à prendre le contre-pied de cet enjeu de fond, en faisant en sorte que personne ne meure jamais définitivement. Tou·te·s reviennent toujours, d’une manière ou d’une autre, par une astuce de scénario ou la magie de la Force ; tout le monde a droit à son rappel pour ce dernier tour de piste.

Une autre grande réplique de l’épisode 8 était celle énoncée par Rose à Finn : « Nous gagnerons cette guerre non pas en combattant ce que nous haïssons, mais en sauvant ce que nous aimons. » Ce qu’elle recouvre comme enjeux et partis pris est repris et prolongé par Abrams – il fait dire à Rey une phrase analogue : « Vous voulez que je ne ressente que de la haine, mais je ne m’y résoudrai pas, pas même envers vous .». Le principe au cœur de L’Ascension de Skywalker est celui de ce choix qui existe quant à la personne que l’on décide d’être. Tout le monde peut être tenté par le côté obscur, mais tout le monde peut faire le choix de lui tourner le dos. Rey et Ren, à la manière des précédent·e·s héro·ïne·s abramsien·ne·s, rejettent le côté obscur qui existe en eux. Elle et lui choisissent d’être des êtres qui sauvent, aiment, dialoguent, plutôt que des êtres qui tuent, haïssent, ordonnent. Leur choix est ainsi d’être la meilleure version de soi-même : Rey Skywalker, Ben Solo. La série Watchmen, créée par Damon Lindelof (ancien compère d’Abrams, sur Lost et Star Trek) et diffusée cet automne, imagine un produit nommé Nostalgie, qui permet de revivre des souvenirs du passé et dont l’inventrice souhaite qu’il donne aux humains l’opportunité de « revisiter le passé afin qu’ils puissent en tirer des leçons, qu’ils puissent évoluer, se transformer, s’améliorer [better themselves] ». La phrase, et l’idée, peuvent être appliquées telles quelles aux Star Wars de J.J. Abrams2.

1 La non-explicitation d’une relation amoureuse existant entre Finn et Poe arrive en seconde position dans la liste des sacrifices. Elle est implicitement signifiée dans le final, par le mimétisme entre les trios Rey-Finn-Poe ici et Luke-Han-Leia au terme du Retour du Jedi : Luke partait seul, Han et Leia formaient un couple. Ici Rey part seul, donc on peut en déduire que Finn et Poe forment un couple.

2 Au-delà de cet élément, les deux histoires reposent sur une même trame, une même velléité : elles inventent des héro·ine·s dont le rôle s’avère finalement de solder une fois pour toutes les actes de leurs prédécesseurs (Han, Luke, Leia, Palpatine dans Star Wars, Ozymandias et Dr. Manhattan dans Watchmen). Les scènes finales des deux œuvres sont également très similaires, avec la même question ouverte. Les pouvoirs du passé continueront-ils ou non à vivre à travers les héroïnes, dorénavant émancipées et autonomes : Angela a-t-elle les pouvoirs du Dr. Manhattan ? Rey utilisera-t-elle les pouvoirs des Jedi ?