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ERWAN DESBOIS

Nick Cave and the Bad Seeds – « Hollywood »
Extrait de Ghosteen – 2019 – Où est la paix de l’âme
Pond – « The Weather »
Extrait de The Weather – 2017 – Rock psyché des antipodes
Chloé – « The Dawn »
Extrait de Endless Revisions – 2017 – French touch

J’ai hésité à ne prendre que des titres du dernier album de Nick Cave and the Bad Seeds pour composer ma playlist de l’année, tant il se situe plusieurs classes au-dessus du reste (dans ce cas, les deux autres titres auraient été “Sun Forest” et “Ghosteen”). Ce disque de deuil d’un enfant mort est beau à pleurer d’un bout à l’autre de ses onze morceaux et soixante-huit minutes, épuré jusqu’à l’os (il ne subsiste par moments qu’un filet de mots susurrés, accompagné de quelques notes de musique) et en même temps incroyablement éloquent et émouvant. Ghosteen est tour à tour apaisant et déchirant, deux émotions contradictoires qui marchent main dans la main dans les quatorze minutes de Hollywood, la ballade élégiaque qui clôt l’album le long d’un fil en équilibre entre la vie et la mort ; entre « I’m just waiting now for my time to come » et « It’s a long way to find peace of mind », comme le murmure alternativement Nick Cave dans le refrain.

Après quantité de rendez-vous manqués (dont au moins un en ayant acheté mon billet avant de devoir le revendre, pour cause d’incompatibilité de calendrier), j’ai enfin pu voir les australiens de Pond en concert à l’automne. Pas de chance : cela coïncide avec une période où je trouve leurs albums moins inspirés, plus ordinaires que jusqu’à leur chef d’œuvre psyché Man It Feels Like Space Again. Mais sur une chanson ici et là leur talent éclate toujours pleinement, comme ce single qui donnait son titre à leur avant-dernier disque.

Découverts à l’exposition de la Philharmonie de Paris sur les musiques électro, dans une vidéo où tournait en boucle une sélection de clips (et le clip est effectivement très beau), “The Dawn” en particulier et le travail de Chloé en général ont été une des jolies trouvailles de mon année. Ses compositions à mille lieues des règles et recettes habituelles nous emmènent dans un monde différent, singulier ; elles nous envoûtent.

 

THOMAS MESSIAS

Keren Ann – « Sous l’eau »
Extrait de Bleue – 2019 – Amour et mort
Mai Lan – « Pumper »
Extrait de Autopilote – 2018 – La danse
Shirley Bassey – « Jezahel »
Extrait de And I Love You So – 1972 – Les larmes

 

« Il me tue, cet amour ». La phrase fait office de refrain, inlassablement répété par une Keren Ann qui semble aussi fragile que désabusée. Tout au long de l’album Bleue, la chanteuse porte un regard dur et désabusé sur le pouvoir destructeur du sentiment amoureux. Ce fut d’ailleurs l’un grands thèmes de l’année, avec la montée en puissance du mot féminicide, enfin traité dans les médias et assimilé par le plus grand nombre.

Mai Lan Chapiron le dit elle-même : « Pumper » est le titre le plus léger de son album sorti début 2018. Avec le retard à l’allumage qui me caractérise, j’ai découvert ce titre en 2019, et c’est devenu mon tube de l’été, celui qui rend la chaleur supportable et le quotidien moins gris. L’année fut riche en embûches ; elle fut sans doute sauvée par la danse et la futilité.

J’ai entendu ce titre de Shirley Bassey dans un cinéma new-yorkais (emoji lunettes de soleil), alors que j’attendais pour ma séance. Il ne m’a pas quitté depuis. « Jezahel » réchauffe le cœur jusqu’à faire monter les larmes. Exactement ce dont j’avais besoin cette année.

 

CHRISTOPHE GAUTHIER

Souleance – « Sète »
Extrait de French Cassette – 2018 – Soleil
Larry Jon Wilson – « Sheldon Churchyard »
Extrait de Let Me Sing My Song To You – 1976 – Révélation
John Lennon – « My Mummy’s Dead »
Extrait de Plastic Ono Band – 1970 – Deuil

2019 n’avait pourtant pas trop mal commencé. Un titre solaire, découvert en tout début d’année, rythmait mon hiver ; il fleurait bon les kilomètres avalés en DS, les vacances à la mer en résidence Férinel, les tapisseries à grosses fleurs orange. C’est pourtant une production contemporaine, d’un duo qui fait de la french touch comme si on était toujours en 1999. Télescopage des époques, c’était bon.

« Son, what you doing here ? » Ce bout de phrase, précédé de quelques accords sombres et inquiétants, je l’ai entendu un paquet de fois dans un jingle de Radio Nova, sans parvenir à identifier son auteur. Et puis un jour – ça devait être à la fin du printemps, je ne sais plus -, j’ai enfin entendu l’intégralité du morceau sur ladite radio. Larry Jon Wilson n’a pas eu la carrière d’un Johnny Cash ou d’un Willie Nelson, ses pairs du mouvement outlaw ; j’aime revenir à sa voix caverneuse et ses arrangements originaux.

Et puis le 24 novembre peu après 20 heures, ma vie a basculé.

 

NATHAN FOURNIER

The Smiths – « Still Ill »
Extrait de The Smiths – 1987 – Complainte I
Lucki – « Count on Me »
Extrait de Alternative Trap – 2013 – Complainte II
Arab Strap – « The Shy Retirer »
Extrait de Monday at the Hug & Pint – 2003 – Complainte III

En 2019, j’ai perdu deux de mes icônes. J’ai aussi découvert l’artiste qui compose la musique qui trainait dans mon inconscient. J’ai découvert un amour surprenant pour le black metal, trop pleuré avec Tim Hardin, j’ai dansé seul dans mon appartement à grands coups de house et disco, j’ai exploré les scènes hardcore, ego et screamo, et j’ai surtout beaucoup trop écouté Future (au point où je me reprends à chanter « percocets, molly, percocets » au travail).

Mais les statistiques sont formelles. En 2019, trois titres m’ont obsédé. Je les connais par coeur. Je les chante à tue-tete dans la rue. Je les écoute plusieurs fois par semaine voire par jour. Je les ai déjà mentionné parfois dans les playlists mensuelles, mais faut pas se mentir. Ce sont les trois chansons qui m’ont accompagné tout au long de cette année, alors je vous en reparle ici.

Je crois que la première fois que j’ai entendu parler des Smiths, c’était il y a plus de 15 ans, en lisant l’autobiographie médiocre de Marilyn Manson. Dans un élan de provocation futile, il y avait une liste des choses qui rendaient quelqu’un « gay » (dieu merci les temps changent). Écouter The Smiths était en haut de la liste. Sans chercher à comprendre, je me disais simplement que The Smiths devait être un groupe un peu nul. Puis, The Queen is Dead. Et l’ébullition de sentiments, le trop plein d’émotions, les manières. En découvrant The Smiths, je découvrais surtout que la sincérité débordante était ce qui me plaisait le plus dans ce que j’écoutais. Mon amour pour Marr et Morrissey m’a montré l’importance de se laisser ressentir, qu’il n’y a aucune honte à s’émouvoir. Et que gueuler “but we cannot cling to the old dreams anymore” est à la fois apaisant et réparateur.

Dans les heures d’écoutes de rap en mode aléatoire, de lectures rythmées par les flows de Chicago, Atlanta ou LA, Lucki m’a interrompu d’un coup. J’ai une propension à aimer le rap triste et codéiné, les lentes complaintes et les beats noyés. Ce rap ancré uniquement dans un paradoxe: frimer d’un truc triste à pleurer.

Lucki montre ses muscles de dealer, raconte qu’il a convaincu une ville entière de consommer différentes substances psychotropes. Bravade à grands coups de flingues qu’on recharge en bande son. Mais comme dans le brillant Euphoria d’HBO de cette année, cette liberté, cette folie, cette indépendance n’est qu’un masque qui cache une peine infinie. Aujourd’hui Lucki est un autre de ces gamins anxieux et dépressif, dépendant aux pilules qu’il se vantait de vendre.

Est-ce ce riff envoûtant, ces violons mélancoliques ou ce beat simplet? Ou est-ce cette histoire de 4 minutes? Le truc le plus émouvant cette année pour moi aura été ce Shy Retirer qui essaie de se convaincre de se laisser aller. De se laisser aimer. À l’aide d’ecstasy, de disco et d’autodérision. C’est un grand retour –  trop préparé, trop réfléchi – dans la vie vraie. C’est un retour fantasmé, une plongée dans des angoisses universelles. Et c’est dans le mille.

 

ARBOBO

Kli – « Sur ta planète»
Extrait de Rap2filles– 2019 – Rap
Xylouris White – « Black sea »
Extrait de The Sisypheans– 2019 – Musique de la Terre
Katerine, feat. Angèle & Chilly Gonzales – « Duo »
Extrait de Confessions – 2019 – Génie du cul

En 2019 je n’ai jamais autant voyagé, et découvert de nouvelles terres par les gens et par les yeux. Mais la musique revient, elle n’est jamais très loin.
Comment toucher en 2019 en parlant d’amours déçues, sujet archi rebattu où toute pointe de sentimentalisme est laminée par l’époque? Demandez à Kli, dont le parti pris direct et peu orné est aux antipodes des fulgurances de Marie-Flore. Dingue comme ce flow, cette guitare, collent le blues et te font fixer les néons par la fenêtre pour qu’on ne remarque pas tes yeux qui brillent. Qu’est-ce que ça donne sur scène Kli? Et sur la longueur d’un album? Ce titre donne tellement envie de savoir! La Souterraine parvient à se renouveler et rester un beau label capable de nous faire découvrir de nouveaux artistes, ce qui mérite en soi des applaudissements. Sinon cette année j’ai aussi “découvert” (écouté enfin pour de vrai) Gilbert Bécaud, mais je n’en suis pas encore à chercher des places pour le voir en concert. Je devrais ?

Xylouris et White est un duo improbable mais qui semble s’être trouvé immédiatement. Le chanteur et musicien grec met une telle intensité dans chaque morceau qu’il ne nous lâche pas. Déjà quatre albums avec l’ancien Dirty Three Jim White, mais on perd la notion du temps en les écoutant. Avec une batterie, un iaouto, et une voix, servies par une belle prise de son et un mix généreux, l’espace est rempli. Et cette plénitude nous gagne. C’est plus lourd que la douceurs des nippo-brintaniques Kero Kero Bonito, mais ça reste moins abstrait que l’électro de l’iranien Sote. Un bon compromis pour rester connecté au monde sans perdre le nord.

L’année se termine en fanfare, avec un fieffé fanfaron, Katerine, dont la teub pend au milieu de la figure sur son nouvel album. Tout y passe sur ce disque, qui retrouve même par instant des accents de la période de l’Éducation anglaise. Mais ce qui domine, c’est le groove. La densité de l’oeuvre de Katerine est aussi impressionnante qu’il est unique. Avec “duo”, il atteint la perfection, une suavité disco que Daft punk n’a fait qu’effleurer sur Giorgio. Et la voix d’Angèle me ferait faire n’importe quoi (peut-être me pendre la tête en bas comme la dernière fois). Sur son album le plus politique, Katerine joue, se branle, met les doigts un peu partout, et puis danse, danse, danse. Katerine est… inqualifiable.

 

MARC MINEUR

Camilla Sparksss – « Messing With You »
Extrait de Brutal– 2019 – Electro Déviante
Lana Del Rey – « Norman Fucking Rockwell »
Extrait de NFR! Norman Fucking Rockwell– 2019 – Icône
Peritelle – « Salle des Machines »
Extrait de Ne Soyez Pas Triste – 2019 – Hip-Hop

On a coutume de dire qu’il faut se méfier de la première impression parce que c’est souvent la bonne. Dès qu’on a découvert l’album de la moitié de Peter Kernel, on a senti que quelque chose se passait, que l’impitoyable enchaînement de morceaux forts laisserait des traces. On a pensé à Xiu Xiu, un peu, et on a surtout pensé que c’était l’album le plus moderne entendu depuis belle lurette, depuis que personne n’est plus intéressé par la modernité d’ailleurs. Plusieurs mois plus tard, ces morceaux agissent toujours avec leur dose de danger, de pression, d’extase parfois même. 

La carrière de Lana Del Rey est étrange. Lancée par des tubes imparables coincés dans ce qui est sans doute son moins bon album, disparaissant un peu des radars malgré des albums soignés qui peaufinent son style, elle fait soudain l’unanimité. Il faut bien admettre que le taux de morceaux inoubliables a grandi d’un coup, et que cet album assez intemporel se profile comme un classique. En tous cas, un album qui commence par ‘Goddamn, man-child/You fucked me so good that I almost said ‘I Love You’’ a toute mon attention. De plaisir coupable, Lana Del Rey est devenue l’icône qu’elle adore être et qui la détruit à la fois.

Les surgissements de Carl Roosen pouvaient s’accomoder du slam déviant avec Carl et les Hommes-Boites ou du math-rock fiévreux de Facteur Cheval, il explose au grand jour avec le hip-hop de Peritelle. On n’a pas encore bien compris d’où venaient ces morceaux, ni pourquoi ils nous ont frappé ainsi, ni comment cette mise en image peut fonctionner. On n’aura pas de réponses, mais on adore ces questions. A l’heure ou Katerine lance l’échappée, peut-être que le monde est prêt pour Peritelle. Rien n’est plus compliqué à réussir que l’étrangeté, que la poésie qui ne vient pas sur simple convocation.

BENJAMIN FOGEL

La Féline – « Visions de Dieu »
Extrait de Vie Future – 2019 – Electro Pop
Thom Yorke – « Last I Heard (…He Was Circling The Drain) »
Extrait de Anima – 2019 – Electro Pop
Sebadoh – « Celebrate the void »
Extrait de And I Love You So – 2019 – Indie Rock

En ces temps de crise écologique, à l’issue potentiellement funeste, et d’ultra numérisation de nos vies, Vie Future de La Féline est la plus belle plongée que l’on peut faire dans l’avenir. Simultanément futuriste et rétro-futuriste, l’album propose des chansons où l’on trouve tout de suite nos repères, grâce à des claviers kosmische, des rythmiques tribales et des constructions à la Broadcast, mais aussi de nombreux moments déstabilisant où tout semble nouveau, féérique et mystique. Rares sont les artistes au monde à pouvoir propose une musique à la fois si spontanée et intellectualisée. La Féline gagne sur tous les tableaux. On espère que le futur saura reconnaitre son talent.

Autre immanquable de l’année : le nouvel album solo de Thom Yorke, Anima. Les années passent et Yorke conserve le même niveau d’exigence, cette conviction qu’il ne faut faire que des disques qui comptent musicalement et/ou politiquement. Alors que l’on croit tout connaitre de ses tours électroniques et de ses effets de voix, il continue à nous surprendre, à triturer le monde et notre cerveau. En 2019, il est toujours l’un des compositeurs le plus passionnants.

Fidèle à mes héros passés, j’ai toujours besoin de me replonger dans mes groupes préférés de mes 20 ans : Pearl Jam, Deftones, Rage against the machine. Cette année, ce seront Tool et Sebadoh qui auront alimenté mes émotions adolescentes. Le groupe de Lou Barlow est parfait dans ce rôle : mélodies grungy et touchantes, accélérations dynamiques, songwriting intense – Pearl Jam n’a jamais été aussi proche.

 

GUILLAUME AUGIAS

Jeanne Cherhal – « Soixante-neuf »
Extrait de L’An 40 – 2019 – Encore
Djaahaya – « Bon Samaritain »
Single – 2018 – Fresh cut
Marie-Flore – « M’en veux pas »
Extrait de Braquage – 2019 – Sans égards

 

Disons-le tout net : en matière de chanson grivoise par une voix féminine, dépasser le cliché du fameux chant de Colette Renard était ambitieux. Faim, festin, mets, miel mais aussi sang, salive et sève ou encore bateau qui se soulève, le vocabulaire est certes ici fleuri mais jamais lourd ni même vraiment cru, le sexe y est naturel et bon, peut-être pas apaisant, mais sûrement salvateur. Et puis, avec des références aussi tutélaires que Véronique Sanson, Anne Sylvestre et William Sheller, continuer de trouver sa voix et d’inventer un son est une gageure plus que sexy, renouvelée.

Voici une découverte faite par l’entremise de l’excellent label La Souterraine et de sa récente compilation “Rap2Filles”. Sur un beat de trap au cordeau, actuel et minimal, la Guyanaise imprime un phrasé souple, dont le tranchant vient à la longue. Ses thèmes renouent avec une scène rap non défrichée et peu importe finalement si cela provient du genre de l’artiste et de la nécessité de l’imposer dans le paysage — malgré Diam’s et, dans une moindre mesure, Casey ou Keny Arkana, arbres qui cachent la forêt —, ce sentiment de faire ses preuves comme au premier jour impose la force intacte d’une table rase.

“Moi j’lui balance que j’l’aime / Lui m’dit chacun ses problèmes”
Cette entame est à elle seule un top de fin d’année.
“Mais faudrait pas qu’j’me méprenne / Oh m’a-t-il dit”
Il y a tout le style de Marie-Flore dans ce hiatus entre le registre de langue, au besoin lardé d’injures, et la façon bravache dont elle l’assène.
“Oui moi pour toi j’suis prête à tout / À t’mentir prétendre que j’m’en fous / Que si tu crèves c’est rien du tout”
C’est dans un autre titre de l’album et on retrouve la même impression de colère rentrée, mais, pour une chanteuse qui dit exprimer en musique ce qu’elle n’a pas toujours osé dire ou faire en vrai, c’est sans doute là une utilisation des codes anciens pour mieux marquer un acte libérateur si nécessaire.