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Ces séries excellentes restées inédites en France

Par Arbobo, le 14-04-2017
Cinéma et Séries
À l'occasion de la 8ème édition du festival Séries Mania à Paris (du 13 au 23 avril), nous vous proposons un petit tour d'horizon de séries qui, malgré leur excellence et parfois leur sélection en festivals, n'ont à ce jour jamais été diffusées sur une chaîne française.

Y a-t-il trop de séries télévisées ? C’est le sujet d’une table-ronde de l’édition 2017 de Séries-mania. Ce qui est certain, c’est qu’il y en a trop pour pouvoir toutes les importer en France. Les diffuseurs font des choix, et quelques séries de très bonne facture restent oubliées à la frontière, quelles qu’en soient les raisons.

La langue est un obstacle important pour accéder à ces séries. Les traductions de fans, organisés en communautés pour opérer le plus rapidement, sont légion, mais ne permettent pas de couvrir toutes les séries ni toutes les langues. La question pourrait toutefois se trouver bientôt « résolue » (pour peu que l’on accepte de se contenter d’une qualité en deçà du travail d’un traducteur professionnel), grâce aux logiciels de traduction simultanée multilingue déjà à l’oeuvre sur Youtube, comme pour le premier épisode de Preamar (Brésil). Toujours est-il que la sélection que je propose ci-dessous est non-seulement subjective (question de goût), mais aussi liée au problème de la langue (impossible pour moi de voir dans une langue que je comprends certaines séries complètes, comme la polonaise Fala Zbrodni).

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Atami no susakan (Japon, 2010)

Voici la seule véritable série héritière de Twin Peaks, à notre connaissance. Un duo de policiers d’élite, d’un équivalent du FBI, arrive dans une bourgade rurale, suite à la disparition d’une jeune fille. Un motif récurrent de ce programme est la taquinerie, qu’il s’agisse de l’agent envers sa supérieure, ou d’une secrétaire vacharde envers ce même agent spécial. L’invention et la loufoquerie débridées font parfois penser aux séries comiques américaines où les scénaristes s’autorisent tout. Pourtant il ne s’agit pas d’une comédie, mais bien d’un objet hybride, issu du polar, comme sa glorieuse aînée, et qui réserve des scènes belles et touchantes. La construction est remarquable et l’on devient rapidement accro de ce chef-d’oeuvre. Point positif : il n’y a pas de deuxième saison ratée qui gâcherait le plaisir de la première. Point négatif : il n’y a pas de deuxième saison aussi géniale que la première pour en prolonger la magie.

Hellfjord (Norvège, 2012)

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Hellfjord (Norvège)

Dans Hellfjord, l’humour absurde et les délires second degré ne sont plus seulement des ingrédients. Ils constituent la matrice de cette série qui, là aussi, n’a connu qu’une unique saison. Voici donc un show composé de losers, comme on en connaît depuis pas mal d’années (The Office, Shameless, Earl, ou Scrubs à sa façon). La scène d’ouverture laisse augurer le pire et le plus loufoque : un policier sikh de la garde royale norvégienne abat pour une raison obscure un cheval de la garde devant une nuée de touristes, en pleine fête nationale. Le voilà envoyé, pour étouffer le scandale, dans un petit port poisseux du nord du pays. Le minuscule commissariat a tout d’une affectation disciplinaire, surtout lorsque l’on découvre celui qui sert de collègue à l’infortuné sikh. L’absurde et l’humour noir sont les meilleurs arguments de cette pochade. Dès qu’elle dévie de cette veine, la série perd son souffle. Fort heureusement, elle s’en écarte rarement. Sa force est justement d’oser aller loin, de s’autoriser à être franchement grotesque. On se souvient notamment longtemps de la visite de l’officier Salmander à la prison locale.

Pan to supu to neko biyori (Japon, 2013)

Pan to supu to neko biyori (Japon)

Pan to supu to neko biyori (Japon)

Les 4 épisodes qui composent Pan to supu to neko biyori sont un met délicat. Comme dans une partie du cinéma d’auteur japonais (ou certaines séries américaines comme Tell me you love me), la sobriété règne et le dispute à la lenteur. Les sous-entendus sont suffisamment subtils pour être compris, mais rien n’est souligné. Avec une extrême attention portée à chaque détail, à chaque situation, un monde riche de sens se déploie alors que l’action est presque inexistante, et les dialogues parcimonieux. Petites névroses et attachements sincères, trouvent leur expression autour d’une assiette. Lorsque la fille décide de ne pas vendre le restaurant de sa mère décédée, mais de le reprendre, tout un monde se trouve en léger décalage. Elle-même, ses clients, tout l’univers décrit initialement est bousculé. C’est aussi une série sur le passage du temps, inexorable. La nourriture est un support formidable pour parler d’une société. Mais cette courte série ne parle pas du Japon, elle est un roman psychologique universel. Sa finesse, son calme et sa lenteur, son attention pudique portée aux sentiments de tous : tout contribue à générer un souvenir précis de cette histoire, dont on ressort reconnaissant.

Profugos (Chili, 2011-2013)

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Profugos (Chili)

On aimerait vous assurer qu’il s’agit d’un chef d’oeuvre. Mais la saison 2 n’est pas visible avec des sous-titres anglais, alors on réservera le torrent d’éloges pour la première saison. Le point de départ est une mission d’infiltration par la police chilienne. Mais celle-ci change vite de tonalité en raison de la corruption de personnes haut-placées. Une machination infernale est enclenchée et les événements entraînent progressivement de profonds changements des relations au sein du groupe de fugitifs. Cette dimension, piégeuse, est remarquablement écrite. La transformation d’un flic infiltré en bandit véritable ne se fait pas en un jour, ni de gaîté de coeur. Elle n’en est que plus passionnante. Plus qu’un polar, c’est une histoire de cavale, menée tambour battant et avec force violence. Profugos est une des séries que HBO (via HBO Latin America) produit localement à destination d’un public régional , quelques pays seulement, sans être traduite ni diffusée dans l’ensemble de son réseau. C’est d’autant plus dommage que, si l’histoire est bonne et les comédiens à la hauteur, il est très rare en France de voir les nombreux paysages du Chili. Très bien filmés (l’image est toujours soignée chez HBO), mis en valeur, ils sont aussi variés qu’alléchants.

Pustina (République Tchèque, 2016)

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Pustina (République tchèque)

Produite par HBO Europe (décidément !), Pustina est présentée à Séries Mania 2017 – les 2 premiers épisodes sont projetés au festival les 15 et 19 avril ; ce qui ne garantit en rien qu’elle sera un jour visible en France. Dès le générique, grave, graphique, prenant, on se laisse convaincre. C’est même l’un des plus beaux génériques qui existent. De l’écriture à la réalisation, Pustina est 100% tchèque. Bien que son créateur Stepán Hulík revendique s’inspirer de Top of the lake, True detective ou The missing, on peut lui faire crédit de plus fortement s’approcher de cette dernière. Dans Top of the lake ou True detective, malgré leur très grande qualité, il y a un côté too much, le recours au folklore y frise parfois la gratuité. Pustina est plus naturaliste. Plus dure. Plus banale dans son propos. C’est le récit d’une décomposition. D’une famille. D’une femme. D’une économie. D’une petite ville de Bohème et sa communauté fracturée par la crise et les propositions financières des propriétaires de la mine (des Polonais). Il y a du Broadchurch là-dedans, mais sur fond de misère, et avec une image sombre et terne à l’opposé du choix de l’excellente série anglaise. Les développements dans le centre pour adolescents en difficulté ne sont pas les moins réussis. Ne sont-ils pas justement la preuve vivante des dysfonctionnement et des échecs de la société, des familles ? Tout le savoir-faire cinématographique tchèque est là, labellisé HBO qui avait déjà travaillé avec Hulik pour sa mini-série dédiée à Jan Palach.

Scott & Bailey (Angleterre, 2011-2016)

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Scott & Bailey (Angleterre)

Ce duo de policières de Manchester a sévi durant 5 saisons sur ITV. Série créée par des femmes, sur des femmes, réalisée et écrite par des femmes, elle est féministe à sa manière, souvent, mais pas toujours tant que ça. Avant de répondre à un programme militant, elle compose une remarquable série de personnages. Scott, Bailey, mais aussi leurs plus proches partenaires du commissariat, sont des personnages plus complexes que la moyenne. Elles hésitent, se contredisent, se brouillent, se cherchent elles-mêmes, se réconcilient, ou pas. On ne sait jamais de quelle manière vont tourner les événements, car il n’y a ni catastrophe systématique ni happy ending rituel. C’est un polar à bas bruit, dont les interrogatoires menés à voix calme sont de petits morceaux de bravoure. Les comédiennes sont remarquables, à commencer par l’une des deux à l’origine du projet, la captivante Suranne Jones (vue depuis dans Dr Foster). L’une des forces de cette série, sur le plan narratif, est d’avoir rapidement pris le contrepied de ce qui est l’alpha et l’oméga d’une série : la fixité. Ici au contraire, les personnages évoluent, ainsi que leurs relations. C’est même l’un des rares exemples de séries policières où des personnages changent réellement de fonction en passant à un grade supérieur. L’imbrication de l’intime, du personnel, du professionnel, est totale. Peu de séries (on peut citer Urgences) ont réussi à ce point le mélange, et encore moins nombreuses sont celles qui accordent une telle place et autant de sens aux doutes et erreurs des personnages et au dévoilement de leurs états d’âme.

À noter :
– Une dernière série a attiré notre attention, grâce à un article de Slate : la série kényane The samaritans, dont on a lu beaucoup de bien sans avoir encore eu l’occasion de la voir.
– Damien Leblanc dédicacera Les Révolutions de Mad Men, le samedi 15 avril de 17h à 18h à la librairie du festival. Il animera également débat avec l’équipe du Bureau des Légendes suite à la projection des épisodes 1 et 2 de la saison 3 le 21 avril.
– Un excellent livre intitulé La saga HBO vient de paraître aux éditions Capricci, co-écrit par des journalistes de So film, dont Axel Cadieux, membre du collectif Playlist society et auteur de L’Horizon de Michael Mann et de Paul Verhoeven, Total Spectacle.